Comment est-t-il possible que le désastre de l’humanité, qui nous concerne tous, peut-il laisser indifférent ceux qui prétendent nous gouverner ? Après tout n’en seront-ils pas aussi parfois les victimes ? Ou leurs enfants ? Mais ces prétendus « dirigeants », ou ceux qui aspirent à les remplacer, ne sont eux-mêmes que les intermédiaires entre une population inquiète et des puissances financières qui ont permis à ces gouvernants d’accéder à leur poste et qui peuvent les renvoyer comme des domestiques au moindre faux-pas. Ils sont condamnés à dépendre de leurs grands capitaines, ils ont peur des voleurs, des faux témoins, des assassins, et ils dépendent d’une infinité de personnes situées au-dessus d’eux.
Il est évidemment nécessaire de cacher ces choses triviales à ceux qui pourraient être tentés alors d’en finir au plus vite avec une organisation sociale soumise aux seuls impératifs économiques. Il faut rassurer ce public, lui mentir souvent, lui tenir secrète les informations les plus alarmantes, mettre en avant de prétendus remèdes miracles.
Pour connaître les réponses que peuvent apporter au désastre actuel les lois économiques qui nous y ont mené, il faut rappeler ceci : le système marchand repose, depuis son origine, sur le désir et la privation. Il se développe, se maintient et se renforce là ou les communautés humaines ne peuvent être autosuffisantes.
Cette misère permet aux gestionnaires du système de faire travailler ceux qui ont été d’abord privé de leur autonomie, de leur faire produire des marchandises qui seront ensuite vendues à d’autres nécessiteux. À l’articulation de ces deux mouvements – de fabrication et de distribution – s’accumule la plus-value marchande ; et évidemment la puissance du système lui-même. Cette puissance lui sert à s’auto-reproduire de la même façon, en réduisant encore l’autonomie humaine pour s’accroître davantage.
La misère du besoin est bien la matière première de la société marchande, et ceux qui la gèrent doivent grignoter toujours plus ce qui reste de liberté humaine pour imposer leur monopole économique et idéologique sur la satisfaction des besoins vitaux.
C’est pourquoi les nouvelles misères – qu’il s’agisse de famine, d’empoisonnement planétaire, de morbidité nouvelle, de privation de liberté, et même d’insécurité – contribuent à renforcer l’organisation marchande. En dépit de leurs proclamations contraires, les gestionnaires de notre monde ne peuvent que se réjouir d’une situation qui améliore encore le système dont ils sont les serviteurs. Loin de nuire au mode de production marchande, le désastre actuel en accroît la puissance, en aggravant les privations et les souffrances.
La famine planétaire provoquée par la destruction des économies traditionnelles et des cultures alimentaires – elles-mêmes remplacées par des cultures industrielles qui stérilisent la terre. Cette famine convient bien à notre organisation marchande. Elle apporte aux affamés, sous forme d’ « aide humanitaire », ses surplus alimentaires produits ailleurs, en échange de leur soumission aux cultures industrielles et aux compagnies commerciales qui pillent leurs richesses naturelles. Elle « libère » ainsi des masses serviles qu’elle emploie sur place pour industrialiser ses rapines, ou qu’elle déporte ailleurs pour y effectuer les tâches les plus pénibles et les plus méprisées.
La vulnérabilité des cultures alimentaires due à l’épuisement des sols – épuisement dont le mode d’agriculture industrielle est le seul responsable – lui est tout à fait avantageuse aussi. Pourquoi tenter de reconstruire une agriculture plus conforme au dynamisme vivant naturel, alors que l’invention des OGM – dont les semences sont stériles – lui assurent maintenant un monopole absolu sur des semences qu’autrefois l’agriculteur scandaleusement sans fournir de plus-value à la classe gestionnaire ? Le système marchand à donc tout intérêt à généraliser un tel procédé. Favoriser par tous les moyens la contamination des cultures traditionnelles par des OGM lui permettra d’en finir avec un mode de production autonome.
Les populations sont de chaque année un peu plus malades. Des épidémies, des cancers, de nouvelles infections gravissimes – sans même parler des angoisses et de dépressions suicidaires – touchent des populations de plus en plus nombreuses. Mais cette nouvelle morbidité, cette nouvelle misère, comme toute les autres privations, convient bien à notre économie marchande. Pourquoi réduire les causes d’une telle catastrophe, la mauvaise alimentation, la pollution chimique, radioactive ou autre, les facteurs immunodépresseurs ou les perturbateurs endocriniens omniprésents dans notre environnement, alors que la florissante industrie pharmaceutique – dont les banques et les compagnies d’assurance sont les actionnaires principaux – peut faire produire en abondance, par ses salariés de multiples petits comprimés bleus, roses, blancs, bicolores propre à enrayer provisoirement les effets les plus immédiats de ce désastre sanitaire, et qu’elle vend au monde entier. Grâce à cette universelle morbidité, la santé, autrefois naturelle, est donc devenue un bien monopolisé sur lequel notre économie marchande prélève en permanence sa plus-value.
Quant aux risques d’accidents nucléaires, chimiques, ou biologiques – accidents que de pseudos terroristes pourraient provoquer intentionnellement – il faut reconnaître qu’ils lui sont particulièrement avantageux. Il est aussi hors de question d’en supprimer les causes en renonçant à l’énergie nucléaire, aux industries chimiques les plus dangereuses, ou aux manipulations génétiques. Il convient plutôt d’augmenter les forces de police et les forces militaires autour de telles installations, c’est-à-dire partout, et de contrôler davantage la population mécontente dans ses retranchements les plus intimes. Là encore, le terrorisme convient bien à notre organisation marchande pour protéger son empire universel, et l’on ne peut être qu’un imbécile ahuri pour nier qu’elle y participe.
Même les guerres et les cyclones lui sont profitables. Toute une économie de reconstruction, de restauration, de maintenance et d’ « aide humanitaire » fleurit sur les cimetières de Bagdad. Au point même qu’avant le premier coup de feu en Irak, les entreprises internationales se disputaient les marchés de la reconstruction du pays auprès des dirigeants qui avaient décidé d’en détruire les infrastructures.
Croit-on que la pénurie d’eau potable qui commence à affecter des continents entiers et qui provoque déjà des millions de morts chaque année ne soit pas, elle aussi, favorable à notre civilisation marchande ? Les groupes politico-financiers les plus puissants peuvent monopoliser cette eau, autrefois abondante et gratuite. Ils peuvent la revendre à ceux qui en sont privés, en échange d’autres denrées, et en prélevant leur plus-value dans les deux opérations. Peut-être un jour pourront-ils, par dessalage ou par synthèse, obtenir un brevet exclusif sur cette eau si nécessaire à la vie, et le monopole absolu de sa fabrication.
Évidemment, les privations les plus modernes, celles qui résultent de la perte de soi-même dans le système marchand, de la confiscation de sa propre créativité, de son individualité vivante, de son humanité, de sa liberté conviennent au mieux à notre organisation marchande. Elle vend à ces nouveaux indigents des images de liberté, de personnalité, d’autonomie, de vie naturelle, sous forme de gadget que la publicité affirme être porteur de telles qualités magiques. Elle favorise en outre l’accès au gouvernement d’« hommes providentiels », qui permettent d’en finir avec toutes les misères et toutes les injustices, mais qui sont contraints de suivre ses directives ou de disparaître, engloutis par une élection malheureuse, une guerre civile, une mort brutale inexpliquée.
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